Sylvain Savolainen

Reporter / Photographe

Calcutta

La dimension humaine

Le 24 août 1690 une poignée d'hommes de la Compagnie anglaise des Indes orientales louait, pour mille trois cents roupies par an, trois villages du delta du Gange pour y établir un comptoir. Calcutta était née. La ville a fêté ses 320 ans en 2010.

«15 millions d'Homo sapiens, peut-être un peu plus, peut-être un peu moins, s'arrangent pour vivre dans guère plus qu'une centaine de kilomètres carrés. Voilà Calcutta, (…)» écrivait un ancien ministre du Bengale occidental dont la mégalopole est la capitale.

Comment retranscrire un tel lieu? Un premier choix possible peut consister à éviter l'alternative qui semble immuable entre évasion folklorique en couleur ou le noir et blanc empreint de catastrophisme. S'efforcer de ne pas se cantonner à un seul «angle» mais, au contraire, de les éclater et tenter de dépeindre une fresque à travers un éventail de situations, de lieux, de thèmes, teintés d'humour, de poésie, de poigne. La seconde attitude peut consister à retranscrire le bouillonnement de la ville, son rythme, sa folie, sa tension, son burlesque, bref, l'esprit du lieu.

Car Calcutta regorge, probablement plus que n'importe quel autre lieu du monde, de personnages, de scènes, de surprises. C'est un geyser qui jaillit et qui porte en lui tout le spectre de la vie. Car en dépit des inlassables commentaires convenus, c'est bien un principe de vie qui anime la ville. La vie dans toute sa complexité, quitte à ne pas être un conte de fées.

Ainsi Calcutta raconte l'Homme. Rien de moins. Ici la condition autant que la dimension humaine s'affichent. «Dans les méandres surprenants des parcours, se cache sans doute un des secrets de la ville» écrit Jean-Claude Carrière. On pourrait ainsi désigner Calcutta la ville la moins ennuyeuse du monde. Tout y est étalé, immédiatement, à même la rue. Nerveuse, cocasse, agitée, imprévisible, Calcutta est rebelle, contestataire. Elle remue les tripes, l'esprit, et le cœur bien sûr.

Une cité déroutante. Et finalement, quoi de plus surprenant? Puisque toucher le fond de Calcutta serait approcher la complexité du monde, de l'homme et de son parcours. Depuis trois siècles en effet, Calcutta est une matérialisation de l'histoire de l'Europe et de l'Asie: colonies, rêves de commerce, avènement du capitalisme, Seconde Guerre mondiale, décolonisation, communisme, réfugiés, charité et balbutiements de l'humanitaire, religion, arts, science, tous sont passés par là. De ce rapport de l'homme face à lui-même, au monde et aux événements qui l'entourent, Calcutta en a été le témoin et le protagoniste. En un mot, le visage de notre humanité dévoilée.