Sylvain Savolainen

Reporter / Photographe

Sierra Leone

La guerre inculpée

Prix Swiss Press Photo 2007 du meilleur reportage réalisé à l'étranger
Au matin du XXIème siècle, l’une des notions qui tend de plus en plus à s’imposer est celle du droit international pénal. Des Tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie ou le Rwanda à la Cour pénale internationale ou au Tribunal Spécial pour le Liban, du débat sur l’illégalité de la « guerre préventive » des USA en Irak, aux notions de génocide, d’ingérence humanitaire ou militaire ; bafoué, invoqué, le droit pénal international moderne prend ses marques. Quelle est la place de la Sierra Leone dans ce contexte?

La majorité des guerres aujourd’hui sont des guerres civiles. Bien que les conflits internationaux suscitent une immense attention dans le monde entier, ils sont cependant rares. La guerre de Sierra Leone a débuté en 1991 pour officiellement se terminer le 1er janvier 2002. Un conflit qui a duré onze ans, qui a causé la mort de 200'000 personnes et en a déplacé 2'000'000 d’autres. Onze ans de campagnes d’amputations massives, de viols, de mutilations, d’esclavage, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Onze années d’un défoulement de violences inouïes dont les traces béantes de l’horreur et les traumatismes sont encore terriblement palpables.

Une guerre de 1991 à 2002. Des dates qui ne sont pas anodines, elles sont le trait d’union de deux espaces historiques, elles jalonnent le passage du XXème au XXIème siècle. Onze ans d’un conflit qui, lui non plus, n’est pas anodin puisqu’il est sur tous les plans le conflit type et emblématique de notre époque.

Créé par un Accord bilatéral du 16 janvier 2002 entre le Gouvernement sierra-léonais et l’ONU, le Tribunal Spécial pour la Sierra Leone est compétent, selon son Statut, pour juger ceux qui portent la responsabilité des plus sérieuses violations du droit humanitaire, crimes contre l'humanité et violations aux Conventions de Genève durant le conflit, et particulièrement du mois de novembre 1996 à 2002.

Le conflit de Sierra Leone a été, dès son origine, tout au long de son déroulement et jusqu’à son issue, le théâtre saisissant et vertigineux des grandes lignes de force de notre temps et de ses acteurs: la finance, le commerce des ressources naturelles -en l’occurrence celui des diamants les plus prisés du monde-, la vente d’armes, l’entreprise privée dans la guerre, le couple américano-britannique, la crise de l’ONU, la realpolitik, le terrorisme, le Hezbollah et Al-Qaïda, la guerre en Irak, l’éveil et l’aspiration de la justice internationale.

Tous ces éléments se sont emboîtés dans un spectaculaire puzzle, une mécanique de thriller qui se dévoile aujourd’hui à la manière d’un roman d’espionnage.

La question des diamants de Sierra Leone est au cœur même du conflit. En effet, que ce soit dès l’origine du conflit, puis durant son déroulement jusqu’à son issue et la période post-conflit, les diamants et leur commerce ont été et restent décisifs.

Ce sont bien souvent des jeunes « rebelles », exploités dans les mines de diamants, qui sont venus gonfler les rangs du RUF (le Front Révolutionnaire Uni), le groupe armé qui mit à feu et à sang le pays. Ce sont les zones diamantifères qui ont servi de bases arrières aux rebelles; les diamants jouant le rôle de moteur financier de la guerre. Enfin, ce sont les compagnies de mercenaires sud-africaines et britanniques, engagées durant le conflit par le gouvernement sierra-léonnais pour faire face au RUF, qui ont été récompensées avec l’attribution de concessions des plus grandes mines de diamants de Sierra Leone.

Par jugement daté du 18 Mai 2012, la Chambre de première instance du Tribunal Spécial pour la Sierra Leone a jugé coupable Charles Taylor, l’ancien président du Libéria, d'avoir été le principal instigateur du conflit en Sierra Leone.

Le reportage présenté ici dépeint l’émergence de la justice pénale internationale moderne à travers le Tribunal Spécial pour la Sierra Leone qui tente de rendre justice face à la brutalité et l’horreur de la guerre.

C’est un bras de fer. Celui de la justice face à la guerre.

C’est également l’histoire d’un conflit oublié et de son fonctionnement. Le voyage dans les coulisses et la mécanique d’une guerre. Celle qui a servi de pont à notre passage d’un siècle à l’autre. A ce titre, comme aux travers de ses rouages, elle raconte notre époque et nos guerres actuelles.

  • Comment la guerre de Sierra Leone s’est-elle alimentée?
  • Comment a-t-elle été financée?
  • Quel rôle les diamants et de manière générale son industrie ont-ils joué?
  • Pourquoi et comment les guerres civiles nous rattrapent-elles qu’on le veuille ou non, que l’on en ait conscience ou non?
  • Le facteur ethnique ou religieux est-il vraiment le moteur d’un conflit?
  • Pourquoi un pays est-il enclin à la guerre?
  • Pourquoi la guerre civile est-elle si fréquente?
  • Sait-on aujourd’hui exactement comment endiguer ou entretenir un conflit?
  • S’il y a bien des responsables de crimes de guerre et crimes contre l’humanité, qui l’est?
  • Sur la base de quel critère? Et comment peut-on les juger?